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Quand les enseignants claquent la porte

« Quand les enseignants claquent la porte »

Sandrine Garcia, dans son article « Quand les enseignants claquent la porte »* nous explique comment les démissions actuelles sont un révélateur de la dégradation des conditions de travail des enseignants dans un contexte d’austérité budgétaire.

L’article démontre la force idéologique de la Loi Macron de Transformation de la Fonction Publique (LTFP) de 2019 visant à transformer les objectifs des valeurs propres au service public et auxquelles sont socialisés ses agents, comme, dans l’Éducation Nationale et par voie de conséquence dans l’Enseignement Agricole, la réduction des inégalités, en indicateurs qui doivent se concilier avec la réduction des dépenses publiques.

La Nouvelle Gestion Publique (NGP) déclinaison de La LTFP : l’exemple de la taille des classes

L’exemple de la taille des classes est significatif. En 2010, l’une des fiches envoyées aux inspecteurs d’académie par le ministère de l’Éducation Nationale pour réaliser des gains d’emploi préconise une augmentation de la taille des classes (Jarraud, 2010). Du constat selon lequel « L’augmentation de la taille moyenne des classes a un impact direct et très important sur les besoins en Équivalent Temps Plein (ETP), elle en tire que « La définition et l’utilisation des seuils d’ouverture et de fermeture de classes peuvent contribuer efficacement à une augmentation du nombre moyen d’élèves par classe ».

Ainsi, le ministère essaie de rendre compatibles la réduction des inégalités avec des objectifs gestionnaires. Il est en effet précisé que « la réduction ou le maintien de la taille des classes doit ainsi être réservé aux secteurs relevant de l’éducation prioritaire et être strictement accompagné (pédagogie) et encadré (évaluation) ».  Cette politique commencée à l’Éducation Nationale a été déclinée dans l’Enseignement Agricole négligeant les conséquences sur la pédagogie, la sécurité et l’accueil du public à besoin particulier.

Aussi, il est établi que l’augmentation de la taille des classes va à l’encontre des recherches (Bressoux, 2011) qui montrent, au contraire que la réduction du nombre d’élèves par classe permet d’améliorer de manière significative les acquisitions des élèves les plus défavorisés.

La politique d’augmentation du nombre d’élèves par classe a entraîné des effets domino et pas seulement sur les apprenants. Pour éviter les fermetures de classe, les équipes pédagogiques mixent les publics (problèmes de gestion de classe, alourdissement du travail de préparation…).

Ces mesures d’austérité ont d’autant plus lourdement pesé qu’elles se sont ajoutées à une réforme majeure qui aurait supposé que le nombre d’élèves fût au contraire réduit et les aides apportées aux enseignants renforcées : la politique d’inclusion scolaire impulsée par la loi 2005.

L’inclusion du handicap : un idéal qui tourne au cauchemar

Les défenseurs de l’inclusion scolaire minimisent les contraintes que représente, dans un contexte d’austérité budgétaire, la gestion des élèves en situation de handicap. Ils peuvent considérer que les enseignants résistent à ce qui serait une formidable occasion d’améliorer, grâce à l’inclusion scolaire, les progrès collectifs.

Les enseignants savent que selon les types de handicaps, les situations sont très variables. Mais, les difficultés que posent certains handicaps reviennent très régulièrement (certaines formes d’autisme induisant des comportements difficiles à contrôler, des pathologies se traduisant par des troubles du comportement).  La politique inclusive, dans un contexte d’augmentation des seuils, est vécue comme une des causes qui dégradent les conditions de travail. Les difficultés sont d’autant plus grandes que, les « aides humaines » nécessaires sont loin d’être toujours assurées ou de l’être suffisamment.

Il faut aussi intégrer que le temps supplémentaire qu’implique la scolarisation des élèves en situation de handicap (qui, eux aussi, doivent faire l’objet, en dehors de la classe, d’un « suivi » en collaboration avec différents « partenaires » extérieurs) n’est pas reconnu.

Rationaliser son investissement pour tenir

Pour, les néo-entrants dans la profession d’enseignant, ils n’ont aucun temps institutionnellement dédié pour organiser le contenu de leur enseignement et des journées de classe. Rien dans les conditions d’insertion actuelle ne leur permet de mettre en œuvre une réflexivité sur leurs pratiques Ils ne peuvent prendre ce temps que sur leur temps personnel, qu’ils doivent également consacrer aux travaux à rendre dans le cas de leur formation. Ils sont structurellement en situation d’épuisement et de difficultés.

Pour ceux qui sont déjà bien avancés dans la carrière, les difficultés ne sont pas les mêmes :  ils pâtissent d’un alourdissement considérable de la charge de travail. Cet alourdissement résulte de tâches bureaucratiques destinées à formaliser une lutte illusoire parce que sans ressources contre l’échec scolaire, mais aussi à donner à l’institution les moyens de contrôler ou à faire semblant de contrôler leur travail.  Ils sont aussi accablés et usés par la succession de réformes qui dépendent trop manifestement des alternances politiques, s’enchaînent trop rapidement sans bilan ni recul des expériences déjà réalisées pour qu’ils puissent encore leur accorder de l’intérêt. Ces réformes sont généralement imposées à marche forcée. Très souvent, ces professionnels ne peuvent « tenir » dans leur travail qu’en réduisant eux-mêmes de manière sélective l’attention qu’ils accordent aux usagers les plus « chronophages ».

Un statut dévalorisé ?

Les « dérapages » des politiques sont récurrents, qu’il s’agisse de stigmatiser l’absentéisme des enseignants, à la manière de Claude Allègre, d’invoquer le niveau d’études des professeurs trop élevé pour changer des couches comme le faisait Darcos, ou encore des enseignants qui ne travaillent pas pendant le confinement, comme Sibeth Ndiaye. Peu importe qu’ils soient tout aussi régulièrement suivis d’excuses, peu importe les hommages rendus, de manière hypocrite et de manière rituelle, à des professionnels dont on peut parler avec beaucoup de relâchement et de légèreté : le mal est toujours fait.

Plus près d’eux, les inspecteurs sont pris entre le marteau et l’enclume. Invités à « piloter » les équipes, ils peuvent, selon les cas, représenter un soutien pour les enseignants ou au contraire renforcer leurs difficultés par des exigences démesurées par rapport aux moyens proposés pour résoudre des problèmes pratiques. Mais pris aussi dans le tourbillon des réformes, ils doivent à chaque fois « vendre la bonne parole » alors qu’eux-mêmes savent bien qu’une réforme remplacera aussitôt une autre.

Enfin, le salaire n’est plus suffisant pour compenser ces évolutions. Un article de l’INSEE précise que « Les femmes représentent par ailleurs les deux tiers des enseignants (et même plus de 80% des professeurs des écoles), qui sont, à catégorie donnée, moins rémunérés en moyenne que les autres salariés de la Fonction Publique d’État (FPE). Le salaire net moyen, en équivalent temps plein, des enseignants de catégorie A est ainsi inférieur de 25,8% à celui de leurs homologues non enseignants » (Bour et Godet, 2018). Le salaire est donc modique par rapport au niveau d’études (bac + 5) et aux avantages (en termes de qualité de travail et de vie) auxquels il ouvre désormais. Et que dire du miroir aux alouettes institué par l’accès à la classe exceptionnelle. Actuellement, seule une fraction des enseignants atteint la hors-classe et ils sont encore moins nombreux à être dans la classe exceptionnelle (Charles, Cacouault-Bitaud, Legendre, Connan et Rigaudière, 2020).

Au final, un triste constat : le métier a perdu de son attractivité et il est évité par une partie des catégories qui constituaient son vivier.

* La Vie des idées, 29 juin 2021. ISSN : 2105-3030,URL : https://laviedesidees.fr/Quand-les-enseignants-claquent-la-porte.html)

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