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Hectar : FO se mobilise pour défendre l’enseignement agricole public face aux appétits du privé

Un large collectif, auquel FO participe, a organisé deux manifestations en région parisienne le 29 mars pour défendre l’enseignement agricole public et débattre de l’agriculture de demain. Dans leur viseur, le nouveau campus agricole privé baptisé Hectar et ouvert sur un modèle « cyber-productiviste » par, entre autres, le patron de Free, Xavier Niel.

Hectar Bobards, machine à dollars. La banderole a été accrochée le 29 mars sur le parvis de La Défense, devant le CNIT et à l’entrée d’un chapiteau accueillant pour l’après-midi un forum citoyen sur le thème de l’enseignement agricole et de l’agriculture de demain. La manifestation était organisée par un large collectif rassemblant des organisations syndicales parmi lesquelles FO, une fédération de parents d’élèves et des organisations citoyennes. L’objectif était notamment de défendre l’avenir de l’enseignement public agricole face à la privatisation grandissante du secteur.

Dans la matinée une centaine de personnes s’étaient déjà rassemblées devant Hectar, le plus grand campus agricole au monde qui a ouvert ses portes en septembre dernier à Lévis-Saint-Nom, dans les Yvelines. Les détenteurs de ce vaste domaine de 600 hectares qui attire les foudres des militants se trouvent être Xavier Niel, actionnaire principal de l’opérateur Télécoms Free, et Audrey Bourolleau, ex-conseillère agriculture d’Emmanuel Macron mais qui participe encore activement à la campagne du chef de l’État pour la présidentielle. Quant à la direction générale du lieu, elle a été confiée à Francis Nappez, cofondateur de BlaBlaCar.

Ici pas de bottes crottées ni de poules qui s’enfuient en caquetant. L’objectif est de développer une agriculture connectée, en mettant l’accent sur le monde de la « tech » et de l’intelligence artificielle. Hectar regroupe ainsi un campus de formation, un accélérateur de startups et d’innovations, une ferme pilote en agriculture régénératrice et des espaces de coworking, de séminaires et de sensibilisation des jeunes.

L’objectif affiché est d’accueillir 2 000 « étudiants » par an. Pour moitié, ils seraient en réalité des élèves de 3e en stage découverte.

220 postes supprimés en 5 ans

Le syndicat FO redoute qu’Hectar ne fragilise encore un peu plus l’enseignement agricole public déjà bien malmené. Le gouvernement s’était fixé comme objectif d’y supprimer plus de 300 postes lors du précédent quinquennat. Nous nous sommes battus et ce nombre a été ramené à 220 postes mais c’est déjà trop, explique Nicolas Gillot, secrétaire national chargé de l’enseignement technique agricole au syndicat FO Enseignement agricole.

Le secteur de l’enseignement privé agricole, en revanche, semble florissant. On réduit les moyens du public et en parallèle on favorise le développement du privé, dénonce Christine Heuzé, secrétaire générale du syndicat FO-enseignement agricole. Nous n’avons pas de chiffres exacts mais il est sûr qu’Hectar a bénéficié d’un soutien public, au moins de la part de la Région Ile-de-France. Elle cite aussi l’ouverture à la rentrée 2022 d’une école vétérinaire privée à Rouen, un enseignement jusqu’alors exclusivement du ressort du service public. Là encore l’établissement va bénéficier d’aides publiques, au moins de la part des collectivités locales.

L’effet pervers, c’est que la concurrence a vite fait de débaucher nos formateurs, qui restent contractuels durant au moins six ans et touchent des salaires indignes, ajoute la militante. La casse du service public commence par les salaires.

Certes, l’enseignement agricole privé n’est pas nouveau. Mais Hectar est la main mise dans l’engrenage, là on constate l’émergence d’un pillage de nos compétences par des gens qui ne sont pas issus du milieu agricole, s’inquiète Nicolas Gillot.

Business school agricole

Sur le projet pédagogique d’Hectar, Audrey Bourolleau a évoqué dans la presse une  business school agricole très axée sur l’intelligence artificielle et sans enseignement technique. Or le collectif s’inquiète de l’opacité qui règne autour de ces formations et s’interroge sur leur véritable nature. D’autant qu’elles s’adressent notamment à des adultes en reconversion professionnelle, et peuvent être financées par le compte personnel de formation (CPF) et Pôle emploi. Par ailleurs, l’une de ces formations, visant à devenir ouvrier agricole viticole, est délocalisée… dans un établissement public.

Le collectif soupçonne les fondateurs d’Hectar d’avoir utilisé la loi de 2018 sur la Liberté de choisir son avenir professionnel pour se lancer dans la formation professionnelle agricole et en tirer profit.

Le syndicat FO fait aussi le lien entre l’ouverture du campus et le projet « French Agri-Tech », lancé fin août 2021 par le gouvernement. Doté d’une enveloppe de 200 millions d’euros sur cinq ans, il vise à soutenir les start-up spécialisées dans l’agriculture et l’alimentation de demain. Hectar va sûrement en capter une partie, estime Nicolas Gillot.

Le syndicat FO déplore d’autant plus le manque de moyens accordés à l’enseignement public agricole que des agriculteurs vont massivement partir à la retraite dans les années qui viennent, et qu’il va falloir former des jeunes pour prendre leur succession. Car pour le syndicat, défenseur d’une agriculture à taille humaine, ces départs ne doivent pas aboutir à une extension de la taille des exploitations.

 Nous pouvons faire face à tous les enjeux, nous n’avons pas attendu Xavier Niel pour travailler sur la numérisation, les drones ou l’agriculture de précision, poursuit Christine Heuzé. Nous faisons aussi de la formation continue pour adultes. Mais il faut que l’État nous redonne des moyens.

CLARISSE JOSSELIN Journaliste à L’inFO militante